Sonotone

Zurich, capitale musicale aux J.O. de Londres

par Gaspard Turin


(avec la collaboration de Julie Zaugg).

A la rédaction, nous sommes récemment tombés sur cette annonce, dont nous avions tiré deux conclusions immédiates. De l’une, des groupes suisses allaient jouer au Jeux Olympiques de Londres (tiens?); de l’autre, la représentation suisse semblait uniquement composée de Zurichois. Notre sang de Romands n’a fait qu’un tour. Parce qu’au pays du «touchours fakances, chamais trafail», sûr que certains musiciens oisifs auraient bien aimé se taper l’incruste dans la trépidante capitale anglaise au plus fort de son été olympique, et de là évidemment, en profiter pour décrocher quelques contrats avec Beggars Banquet, ou Warp ou EMI.

Nous nous sommes rendus compte, après avoir pris quelques renseignements moins superficiels, que les Genevois de Mama Rosin ou de National Fanfare Of Kadebostany étaient également de la fête. Et comme la ville de Zurich est l’un des principaux sponsors de la Maison suisse, il est normal que l’on y retrouve de nombreux artistes zurichois. Mais d’une part, à sonotone.ch, nous mettons un point d’honneur à être de mauvaise foi; d’autre part, si l’on réfléchit en termes de représentation, celle-ci reste très incomplète: des villes à l’histoire musicale récente aussi riche et diverse que Lausanne, Fribourg ou Vevey n’ont visiblement pas voix au chapitre. Un proche de l’organisation de la Maison confirme: «il n'y a pas un seul Romand dans l’équipe de Présence Suisse chargée d'organiser les événements à l'étranger comme la House of Switzerland. Il ne faut pas chercher plus loin».

Une incompatibilité face au marché musical

Mais en cherchant plus loin justement, on trouve d’autres explications, peut-être plus cruelles. Interrogé sur cette sélection musicale, Samuel Vuillermoz, chef d’antenne à la radio de la Maison suisse de Londres et responsable de la plateforme internet mx3.ch commente: «nous avons organisé une tournée en bus de six dates dans toute la Suisse, pour inviter les groupes à venir enregistrer des sessions, pour ensuite sélectionner les plus intéressants», entre autres le duo japono-zurichois gagnant du concours, Tim & Puma Mimi, qui joueront sur la scène de la Maison suisse le 12 août, jour de la clôture des jeux. «C’est vrai qu’on n’a fait qu’un arrêt en Suisse romande, à Montreux, on aurait peut-être dû lui consacrer une journée supplémentaire.» Mais dans les quelque deux cent propositions romandes, peu semblaient convenir. «On demandait une certaine originalité, une qualité radiophonique, une capacité à jouer en acoustique», ajoute Samuel Vuillermoz, avant de présenter un argument plus massif encore: «Qu’on le veuille ou non, Zurich est une vraie capitale, au sens où le nombre important de groupes y engendre une compétition. La plupart des groupes zurichois ont un meilleur sens du marketing que dans les autres villes suisses. Ils savent mieux se vendre, présenter leur musique comme un produit, véhiculer une image – c’est sans doute pour cela que les gagnants de notre concours sont zurichois». Et de préciser que «ce ne sont pas forcément les artistes qui illustrent mes goûts personnels».

Mais dans la Mecque historique du libéralisme, les choix individuels ont peu de poids face aux lois du marché, qui valent aussi bien pour les sportifs que pour les musiciens… Selon Yves Bisang, qui coordonne la présence zurichoise dans la capitale britannique, cette sélection va même plus loin: il s’agit de la «motivation des artistes à pénétrer le marché britannique, le fait de chanter en anglais et leur capacité à s'imposer sur le marché londonien, très compétitif».

Une plateforme promotionnelle?

Il n’y a pas que les artistes dépêchés sur place qui contribuent à l’élargissement culturel suisse en Angleterre. Pour Samuel Vuillermoz, dont le travail consiste essentiellement à programmer la radio de la Maison suisse, ce biais est essentiel à la promotion d’une culture helvète diversifiée, au visage innovant, ambitieux et créatif. «Près de mille titres de musique suisse passeront grâce à nous sur les ondes. Nous avons onze millions d’auditeurs potentiels, et même 2% de parts de marché nous amèneraient à toucher plus d’auditeurs de Couleur 3», souligne-t-il, avant d’ajouter: «on ne se rend pas compte à quel point les Anglais n’ont strictement aucune idée de ce que peuvent produire les musiciens suisses. Les ingénieurs du son avec qui nous travaillons n’en reviennent pas; pour eux, c’est tout juste si nous n’en étions pas restés au cor des Alpes!».

Néanmoins, la partie est loin d’être gagnée. La promotion d’une musique suisse mais chantée en anglais, accessible à l’international, avec une image compréhensible immédiatement et, somme toute, plutôt édulcorée et lisse: n’est-ce pas illusoire d’imaginer un intérêt quelconque de la part des Britanniques, dont le pays regorge de formations de qualité? De musiciens qui ne vivent que des bières que les pubs de leur quartier veulent bien leur offrir en guise de paiement, après leurs concerts de quinze minutes sous la cible du jeu de fléchettes? Pour Yves Bisang, c’est envisageable: «nous avons invité toute une série de gens issus de l'industrie musicale britannique à venir assister aux concerts; le but est que certains d'entre eux s'intéressent à nos formations, leur proposent de jouer en Angleterre, de distribuer leur disques, pourquoi pas un contrat même?»

Croisée quelques jours plus tôt au Paléo festival de Nyon, Betty, bassiste de la formation (zurichoise) My Heart Belongs To Cecilia Winter, se prenait à croire au même rêve. C’est timidement qu’elle nous avouait attendre également de son séjour londonien la possibilité de dénicher «quelques connections avec le monde musical anglais». Samuel Vuillermoz est plus circonspect encore. «C’est sûr que c’est une chimère. Mais d’un autre côté, indéniablement, ça peut aussi arriver d’être au bon endroit au bon moment.» Il y a d’autres avantages, également, commente-t-il: «être payé pour venir jouer à Londres, je connais peu de gens qui refuseraient. C’est une chance incroyable, même si c’est tout ce qui se passe». On ne peut qu’approuver.

Après tout, le plus important (après être invité) n’est-il pas de participer?

"Il s'agit pour les artistes suisses de s'imposer sur le marché londonien, très compétitif"

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Interview